« Nous avons beaucoup de choses à vous vendre, des avions, des voitures, des logiciels... » A votre avis, qui s'exprime ainsi? Le directeur commercial d'une boite d'import-export russe qui cherche à refourguer les vieux stocks de l'URSS? Vous n'y êtes pas du tout, mais alors pas du tout... C'est tout simplement le début du discours de Barack Obama face à Hu Jintao, le leader chinois lors de sa récente visite aux Etats-Unis !

Il faut bien comprendre le caractère incroyable de cette déclaration : en mettant le logiciel au même niveau que l'industrie traditionnelle, le Président des Etats-Unis reconnait le caractère essentiel pour son pays de ce qu'on pourrait appeler « l'économie de l'immatériel »...
On ne le dit pas souvent, mais le logiciel est pratiquement au cœur de toutes les industries, de toutes les innovations qui ont émaillé les trente dernières années :
Pas de Smartphones sans les innombrables applications qui ont été développées pour les téléphones de nouvelles génération comme l'iPhone d'Apple (1), pas d'Internet sans les composants logiciels servant à construire, surveiller et optimiser le réseau, pas de sites Web sans logiciels pour mettre en œuvre des portails d'accès, pas d'avions modernes sans logiciels ultra-sophistiqués servant à les concevoir, les dépanner et les faire voler...
La liste est longue et je suis obligé de m'arrêter là, mais c'est justement parce que les américains ont compris à quel point le logiciel était moteur pour le développement et la compétitivité de leur industrie traditionnelle que le Président l'a placé au cœur de son discours.
Bref, ce qu'il faut pour réussir, c'est être concret, et pour les américains qui sont des gens pragmatiques, parler de logiciel, c'est concret !
Il faut dire qu'en France, on n'est pas très concrets, c'est le moins qu'on puisse dire! Lorsqu'on parle « innovation », c'est pour répéter à l'infini ce mot creux déconnecté de toute réalité, sorte d'incantation mystique. A l'image du chamane qui danse pour appeler la pluie, le politique en appelle à l'innovation pour appeler la croissance...

Et nous, que faisions nous pendant qu'Obama faisait le VRP de luxe auprès des chinois ? Dans l'hexagone, notre sémillant Président exprimait ses vœux aux « forces vives » de la nation. J'adore ce terme de forces vives pour évoquer la partie la plus vigoureuse et la plus saine de notre pays! On se demande de quoi il s'agit... De nos athlètes olympiques les plus performants ? De jeunes scouts enthousiastes chantant Hugues Aufray autour du feu de bois ? En fait les forces vives, ça décrit l'ensemble des acteurs économiques et politiques de la société civile, entrepreneurs, syndicats, associations. J'imagine que les écrivains et les intellectuels sont par opposition des forces mortes, mais bon, je me disperse un peu...
Pour faire court et revenir au sujet, à savoir les vœux du président, après un inévitable catalogue à la Prévert sur les problèmes de fiscalité, sur la cohésion sociale et sur la nécessité d'une politique monétaire cordonnée, nous avons eu droit au sempiternel Il faut plus d'industrie française, plus d'innovation, plus d'entrepreneurs...
* Ça veut dire quoi plus d'industrie ? Faire un plan pour créer un Avion Electrique en réunissant des financiers , des politiques et des industriels friands de subventions autour d'un plat de champignons hallucinogènes ?
* Ça veut dire quoi plus d'innovation ? D'après le Petit Robert l'innovation est "l'action d'introduire dans une chose établie quelque chose de nouveau ou d'encore inconnu" (2). Donc, si je comprends bien le Président demande aux forces vives de la nation d'introduire de l'inconnu dans leur quotidien. A mon avis, ça va être un peu difficile de traduire ça en emplois rémunérés...
* Ça veut dire quoi plus d'entrepreneurs ? Avec le statut de l'Auto-entrepreneur, ce n'est pas d'entreprises dont nous manquons - il y en à déjà 2.900.000 en France - mais d'entreprises qui réussissent, qui se développent, qui deviennent des champions mondiaux (3). Sur ces millions d'entreprises, combien d'entre elles emploient plus de 500 salariés ? Moins de 2000 !!!!!
En France, le problème est posé et tout le monde le connait aujourd'hui : il y a un décalage total entre d'un côté des hommes politiques - plein de bonne volonté mais très déconnectés des réalités de l'entreprise - et de l'autre des entrepreneurs qui, dans leur grande majorité, n'ont pas l'habitude de travailler en réseau et de s'organiser pour développer comme en Allemagne un écosystème allant de la PME au grand groupe.
Fort heureusement, et je ne cesse de le répéter, il existe une nouvelle génération d'entrepreneurs français qui se prennent en main et réussissent envers et contre tout à faire bouger les lignes !
Un exemple : Xavier Niel, Marc Simoncini et Jacques-Antoine Granjon - les entrepreneurs du Net les plus en vue en ce moment - sont comme beaucoup confrontés à des problèmes de recrutement qualifié. Plutôt que de s'en plaindre, ils viennent carrément de lancer une école des métiers d'Internet ! Elle recrutera les élèves à la sortie du lycée, ils y seront formés pendant 3 ans aux métiers du Web et à la création d'entreprise...

C'est bien plus efficace que de négocier 4 ans avec les syndicats de l'Education Nationale pour faire évoluer les cursus scolaires et créer des liens entre université et entreprise, vous ne trouvez pas ? C'est même très vertueux, car si le projet est un succès, vous pouvez être certains que d'autres s'en empareront pour le répliquer, y compris dans la sphère publique !
Tout cela me rappelle ma réplique favorite dans le film de Sergio Leone « Le bon, la brute et le truand ». A Eli Wallach qui cherche un trésor enfoui dans un cimetière et lui demande de l'aide, Clint Eastwood le met en joue et déclare "Le monde se divise en deux côtés, ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent... Toi, tu creuses!"
Entre les politiques et les entrepreneurs, pas très difficile de deviner qui s'occupe de pointer le revolver et qui se charge de creuser ;-)

http://www.dailymotion.com/video/xabpe_le-bon-la-brute-et-le-truand
PS : pour éviter de constater ce qui ne marche pas sans pouvoir agir, je viens d'être élu récemment à la Présidence du Collège Editeurs du Syntec Numérique, justement dans le but de développer une filière des créateurs et développeurs de logiciels en France. Je creuse, je creuse...
(1) iPhone et Apple sont des marques déposées d'Apple Inc.
(2) Inspiré par la lecture de Philippe Muray par Fabrice Luchini au théatre de l'Atelier, à voir absolument et toutes affaires cessantes !
(3) Source Insee
Photo Obama/Jintao (c) Chine Informations
Photo Transe des femmes hamar (c) Geo
Photo Niel/Simoncini/Granjon (c) Le blog d'Olivier Ezratty
Photo Le Bon, La Brute et le Truand, film de Sergio Leone en 1966 (c) Première

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25Jan2011